Un cœur de porc greffé sur un humain : 5 minutes pour comprendre une «prouesse»

Rédigé le Mercredi 12 Janvier 2022 à 11:55 |



La prouesse fait les gros titres. Un Américain de 57 ans a été greffé, vendredi, d’un cœur de porc génétiquement modifié. Si c’est un exploit, c’est surtout parce que le patient se porte bien trois jours après et qu’il n’y a, pour l’heure, aucun signe de rejet par son organisme. L’opération ouvre potentiellement la porte à de grandes avancées grâce à la xénogreffe.
Comment ça s’est passé ?
L’opération est encore récente. Elle a été menée vendredi sur David Bennett. Âgé de 57 ans, cet Américain avait été déclaré inéligible à recevoir une greffe humaine. « C’était soit la mort, soit cette greffe. Je veux vivre. Je sais que c’est assez hasardeux, mais c’était ma dernière option », avait-il dit avant l’intervention, selon des propos rapportés par l’école de médecine de l’université du Maryland, qui a mené cette incroyable opération.
Le patient avait été hospitalisé six semaines plus tôt pour une arythmie (une irrégularité du rythme cardiaque) potentiellement mortelle. Il ne vivait depuis que grâce à la mise en place d’une oxygénation extracorporelle.
David Bennett, et le chirurgien Bartley Griffith. University of Maryland School of Medicine
L’intervention a eu lieu en plusieurs temps. Les chirurgiens ont « opéré » le porc afin de lui retirer son cœur pour le transporter jusqu’au patient à qui il a été greffé. Pour accompagner l’opération, un nouveau médicament anti-rejet a été utilisé en plus des médicaments traditionnellement utilisés. Ceux-là doivent permettre de neutraliser le système immunitaire pour éviter que la greffe ne soit considérée comme un corps étranger par l’organisme. Une vidéo publiée sur YouTube  par l’université montre la minutie d’exécution des chirurgiens ainsi que le cœur de porc battre à l’intérieur du corps humain.
Comment l’opération a-t-elle été rendue possible ?
Le porc « donneur » n’est pas un banal porc : il s’agit d’un animal génétiquement modifié à ces fins.  « 10 modifications génétiques uniques effectuées chez le porc donneur », résume l’école de médecine de l’université du Maryland. Ainsi, trois gènes habituellement responsables du rejet rapide des organes de porc par l’organisme humain ont été « supprimés » de l’animal et remplacés par six gènes humains qui doivent aider à « l’acceptation immunitaire » de l’organe animal par l’homme. Un des gènes a également été supprimé « pour empêcher une croissance excessive du tissu cardiaque du porc ». « Le génome du cochon a été purifié », résume au Parisien Benoit Averland, directeur adjoint du prélèvement et de la greffe à l’Agence de biomédecine.
C’est un porc avec des modifications génétiques identiques qui avait permis la greffe d’un rein animal sur un humain en septembre dernier, à New York, sur un patient en état de mort cérébral. « La production d’urine et les niveaux de créatinine, indicateurs clés d’un rein fonctionnant correctement, étaient normaux et équivalents à ceux observés lors d’une greffe de rein humain », s’étaient réjouis les scientifiques, expliquant n’avoir observé aucun signe de rejet. L’expérience n’avait duré que 54 heures, après quoi il avait été décidé de couper la respiration artificielle du patient.
« Le cœur du cochon a une morphologie assez proche du nôtre et c’est l’animal qui a la plus grande proximité génétique avec l’homme », explique Benoit Averland. Autres avantages : ils s’élèvent facilement, il ne faut que quelques mois pour qu’ils atteignent la taille idéale pour une transplantation sur le corps humain et il n’y a pas de problème quant à une éventuelle disparition de l’espèce, proche ou future. C’est aussi pour ces raisons que la greffe chez l’homme de leurs valves cardiaques, qui ne sont pas des organes, est monnaie courante depuis des années.
Pourquoi c’est une prouesse ?
La xénogreffe (la greffe de l’organe d’une espèce sur une autre espèce) n’a effectivement rien de nouveau. Le dernier cas célèbre remonte à 1984 quand un bébé de quelques jours, surnommé « bébé Fae », né avec un problème cardiaque, avait été transplanté d’un cœur de babouin. Il s’agissait déjà d’un exploit : l’enfant avait survécu trois semaines, après quoi son système immunitaire avait rejeté le greffon. « L’exploit relevait davantage de la recherche que de l’espoir de la vie », explique Benoit Averland.
L’exploit de l’opération de David Bennett repose donc sur le non-rejet par l’organisme humain de la greffe animale. « Ne pas avoir eu de rejet dans les heures qui ont suivi la greffe est incroyable, se réjouit Benoit Averland. On a réussi à tromper l’organisme pour faire en sorte qu’il ne détermine pas le cœur comme à détruire. »
Reste à savoir combien de temps cela durera, « mais deux jours c’est déjà une prouesse ». Une expérience, dont les résultats avaient été publiés en 2016, avait déterminé que la survie d’un babouin greffé d’un cœur de porc semblable à celui utilisé pour la transplantation de David Bennett avait atteint jusqu’à 945 jours (avec une durée de survie médiane de près de 300 jours).
Trois jours après l’opération, David Bennett se portait « toujours bien ». Son cas sera « étroitement surveillé au cours des prochains jours et semaines », afin de voir si la solution est viable. « Nous procédons avec prudence, mais nous sommes également optimistes quant au fait que cette première intervention chirurgicale au monde offrira une nouvelle option importante pour les patients à l’avenir », a ajouté Bartley Griffith, le chirurgien qui a opéré le patient américain. Benoit Averland l’affirme : « S’il ne fait pas de rejet, il pourra vivre comme tout patient transplanté. » Et donner de l’espoir à nombre de personnes attendant une greffe.